Le silence est au méditant ce que la semelle est à la chaussure, c’est-à-dire, l’essentiel.
Il existe divers silences. Je vais tâcher de vous parler de l’un d’entre eux, à savoir, le silence du mental. Avez-vous essayé de vous asseoir, de fermer les yeux et de faire taire le mental, de ne penser à rien, non pas à rien en particulier, mais à rien du tout, l’esprit totalement vide de toutes pensées et de toutes images ? Exercice extrêmement difficile pour certains, considéré comme impossible par d’autres et totalement absurde pour quelques-uns. Pourtant, ce simple exercice montre bien, s’il en était nécessaire, l’étendue de notre impuissance et de notre prétendue maîtrise de soi, toutes deux ainsi affichées, ainsi que de notre prétendue individualité indivisible et séparée.
Ce corps physique dont nous revendiquons la propriété et sur qui nous reportons notre individualité fonctionne en totale autonomie. Les cellules, les tissus, les organes qui le constituent œuvrent, indifférents à nos remarques et/ou à nos suppliques. Ils sont mus par un devoir d’obligation dont notre libre arbitre est exclu. Nos cheveux continuent de pousser, indifférents à nos requêtes, l’estomac se met à geindre dès qu’on l’oublie et nous force à manger ou à boire, nos boyaux se tordent dans tous les sens et nous contraignent à leur obéir. Quant au mental, nous savons là aussi l’impuissance qui est la nôtre tout au long de la journée, quand s’expriment en nous des pensées que nous n’avons pas désirées. Dès que l’on essaie de mettre le mental au silence, il devient hyperactif, les images, les scènes se succèdent à une vitesse inouïe sans que l’on ait la possibilité, ni de les modifier, ni de les arrêter.
La liste serait longue à énumérer et si en toute objectivité on la dressait, nous considérerions-nous encore comme étant le propriétaire et le décideur de ce corps, ou bien, comme n’étant uniquement que son locataire ? Les physiciens les plus talentueux sont d’accord pour déclarer que la vie et la conscience existent au niveau des particules atomiques. La nature pourvoit à nos besoins alimentaires qui ainsi pourvoient aux besoins des organes, qui eux pourvoient aux besoins des tissus, pourvoyant eux-mêmes aux besoins des cellules et ainsi de suite, jusqu’à la plus infime particule, recevant chacun son dû nécessaire à son développement individuel mais participant ainsi au développement de l’ensemble, à savoir, l’homme. Selon la philosophie holistique de l’existence décrite par D. RUDHYAR, il dit : « Tout ensemble fait partie d’un ensemble plus grand, et contient des ensembles plus petits sur les activités desquels il exerce un contrôle structurel et rythmique ».
Notre unique problème est de penser que l’homme représente la finalité de cet ensemble et que son individualité ne peut en aucun cas être soustraite d’un ensemble plus grand et dont il fait partie. Mais quelle est réellement notre nature profonde ? De quelle essence sommes-nous constitués ? À quoi peut correspondre le sommeil ? Le rêve ? Pourquoi notre esprit ne vieillit-il pas alors que notre corps se ratatine ? Notre esprit a toujours 20 ans, mais notre corps lui nous trahit, il perd toutes ses dents. Cela fait beaucoup de questions pour qui veut bien se les poser et beaucoup de travail pour celui qui cherche la vérité, mais il est vrai que nous n’aspirons pas au repos. Celui qui médite un tant soit peu sait qu’avec persévérance il parvient à faire taire le mental. Un peu aujourd’hui, un peu plus demain, davantage le lendemain, jusqu’à atteindre un jour un état de conscience modifié, non coutumier, qui lui procure un certain apaisement, une certaine sérénité. Non pas un état surnaturel ou magique, mais simplement un bien-être qui l’encourage à continuer.
Dans toutes recherches, l’expérience est préconisée et plus encore dans ce domaine particulier. Comment un sommelier pourrait-il décrire un grand cru si auparavant il ne l’avait goûté ? L’expérience est indissociable de la recherche. Pythagore disait : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Voulait-il nous dire en cela que l’univers, l’homme et les dieux ne seraient qu’une seule et même essence ?
V.I.T.R.I.O.L nous suggère de visiter le centre de la Terre et en rectifiant, de trouver la pierre cachée. Je pense sans trop m’avancer que l’incitation décrite n’est pas de la spéléologie.
La philosophie bouddhiste quant à elle, pense que le corps n’est qu’un véhicule dont nous avons l’usufruit, il nous permet ainsi de vivre des expériences incarnées. De la même manière qu’un contrat en leasing, nous avons en fait la jouissance du véhicule tant qu’on en paie le loyer. Quand le véhicule est obsolète ou en fin de vie, on peut le changer si on le souhaite. Cela s’appelle « la réincarnation » pour les uns et « une reconduction de contrat » pour les autres.
Pour ma part, je compare tous les êtres vivants à des ampoules. Des ampoules de différentes formes, de différentes tailles, de différentes couleurs aussi, et qui, bien que chacune d’elles soit unique, ne peuvent en aucun cas fonctionner d’elles-mêmes, il leur faut l’électricité.
La construction que nous faisons de notre individualité me semble des plus erronées. Imaginez que l’électricité se prenne pour une ampoule, je pense, que comme les hommes, elle serait jalouse et envieuse de l’intensité de l’ampoule voisine pensant qu’elle a bien de la chance, sans se douter une seule seconde que la source, c’est elle-même.
Il a été dit aux maçons dans certains de nos écrits, « tu ne seras point un athée stupide ou un libertin irréligieux ». Je ne pense pas que nos frères qui ont écrit cette maxime, faisaient un quelconque prosélytisme, mais sans parler de DIEU, aujourd’hui on ne saurait ignorer et également ne pas admettre que l’univers tout entier fonctionne comme une horloge suisse, mû par un principe universel, que la matière n’est qu’énergie et que cette énergie est structurée.
L’important à mon avis n’est pas d’y croire ou de ne pas y croire, l’important est de se poser les questions, d’être curieux de tout. La curiosité n’est pas un vilain défaut, elle est nécessaire et c’est elle qui fait avancer l’homme. L’homme serait-il aujourd’hui ce qu’il est, s’il n’avait été curieux ? Est-ce que la Terre aurait abandonné sa platitude, si l’homme n’avait pas été curieux ? La curiosité est le carburant nécessaire à tout chercheur, et avancer de tels propos n’est pas plus idiot que de vouloir considérer l’homme comme descendant du singe, ou bien encore, considérer que l’homme est le maître du monde et que les astres n’existent en fait que pour formuler son horoscope.
Pour ma part, je ne suis pas croyant au sens religieux du terme, mais je suis un cherchant et je me pose un millier de questions et au fur et à mesure que je ferme des portes derrière moi, des milliers d’autres apparaissent. Que signifie l’intuition, le pressentiment, la volonté ? Qu’est-ce que le magnétisme ? Que signifie l’inconscient collectif ? Qu’est-ce que la synchronicité ? Qu’est-ce que l’aura ? Et plus près de nous : à quoi sert l’initiation ? Pourquoi sommes-nous frères ? Qu’est-ce que l’amour fraternel ? Pourquoi nous est-il si indispensable que nous le recherchions quand nous en sommes dépourvus ? Cela n’est-il pas un paradoxe de penser qu’ici le temps n’a pas d’importance, le maçon étant un éternel apprenti et vouloir considérer en même temps que le temps lui est imparti ? Les paradoxes sont tout aussi déconcertants que l’aveugle disant : « je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois ».
La connaissance nous libère de l’ignorance qui est notre première source de souffrance. Mais la connaissance ne peut être disponible à tous, car la majorité des êtres ne s’en soucient guère. Ils sont trop préoccupés par les conditions matérielles qui paraissent bien plus concrètes à leur bien-être personnel à l’instant T. Ils n’ont pas le désir de se connaître et se trouvent bien comme ils sont, et de ce fait la connaissance reste réservée à un petit nombre qui peut, par un travail intérieur volontaire, l’accroître.
Mais connaissance ne veut pas dire érudition. L’érudition ne sert à rien à celui qui cherche la lumière, pire encore, c’est un handicap, car l’intellect veut tout analyser, tout formater, tout normaliser. L’érudit devient bien souvent et bien malgré lui, prisonnier de son savoir et son esprit n’a pas la souplesse requise pour une telle gymnastique. Il nous faut être totalement libres pour jouer à l’électricien, accepter comme dans la physique quantique le fait qu’un phénomène puisse être lui-même et en même temps une chose tout à fait différente. Car les seules connaissances dont on a besoin dans ce domaine, sont les connaissances par soi, pour soi, à travers soi, et là seulement les connaissances deviennent vérités, elles deviennent notre vérité toute personnelle qui ne peut en aucun cas se partager, la vérité s’acquiert. Il n’existe en fait qu’une seule vérité, la sienne. La connaissance est au dedans de nous-mêmes ancrée génétiquement en chaque partie de notre organisme et le plus grand travail de l’étude de soi est de maîtriser et de pénétrer ce qui constitue notre fausse personnalité. La vérité, nous le voyons bien, est un matériau recyclable et qui est différent pour chacun d’entre nous. La franc-maçonnerie glorifie le travail et le franc-maçon a fait serment de travailler avec zèle, constance et régularité ; comment pourrait-il en être autrement. Comment pourrait-il découvrir son propre temple, s’il ne vient et ne travaille que de temps en temps. Comment pourrait-il espérer réaliser la fraternité universelle, s’il ne vient et ne partage le pain que de temps en temps.
Rechercher la vérité est un travail constant, qui ne finit jamais. Les bouddhistes (encore eux) ont une expression pour dire cela. Ils disent : « Si dans ta recherche, tu rencontres Bouddha, tue-le et va plus loin ». Vouloir répandre au-dehors les vérités que l’on aurait acquises me semble un non-sens. À moins que l’on souhaite répandre le fait que l’on sache que l’on ne sait rien. Seul l’exemple de notre qualité doit s’exporter. À chacun incombe de chercher et de trouver sa vérité, c’est la seule façon pour lui d’avancer. Tout le monde est logé à la même enseigne, tout le monde a les mêmes possibilités, et ne diffère entre nous que le désir d’y accéder. Par conséquent, que l’on soit président ou paysan, on a la connaissance et la souffrance que l’on mérite, autrement dit, on ne récolte que ce que l’on sème. Je vais corriger une erreur que j’avais faite dans une précédente planche, où j’affirmais que le chemin n’était pas la lumière mais que la lumière était forcément au bout du chemin ; erreur grotesque. Je soutiens aujourd’hui que le chemin est la lumière, car le chemin est la vie et la vie est lumière. Mes frères je viens de vous faire part d’une infinitésimale partie de ma folie qui, je vous rassure, est bien plus grande.
J’ai dit.
François LINDO-DIEZ
Avril 2006.